Outre son médecin qui lui fit découvrir Cambo-les-Bains, son secrétaire et son biographe, de nombreuses personnalités gravitent autour d'Edmond Rostand. Les correspondances conservées au musée illustrent ces riches échanges amicaux et intellectuels.
Louis Labat
le secrétaire
Louis Labat, né à Bayonne en 1867 et décédé à Sèvres en 1947 est connu pour avoir été le secrétaire d'Edmond Rostand (1868-1918). Il a été en outre, traducteur, journaliste et critique théâtral. Il est connu également comme poète, romancier et auteur dramatique. En 1901, « la curiosité de la presse s'éveillait autour d'Etchegorria : la « Vie Illustrée » nouvellement fondée par Henri de Weindel, chargea Louis Labat de chroniquer sur cet événement. Il n’était guère aisé cependant de surprendre le poète dans sa retraite volontaire. Ce fut Coquelin cadet qui permit au jeune reporter bayonnais de se rencontrer avec le maître. » Cette première rencontre entre Louis Labat et Edmond Rostand est reportée dans cet article de La Petite Gironde en 1926. « Ayant invité Labat à déjeuner, entre eux se tint le dialogue suivant : - J’aurais besoin de quelqu’un qui resterait chaque jour auprès de moi, dit Rostand. - Un secrétaire - Non, un ami. Voulez-vous consentir à être celui-là ? Réfléchissez, mais quelle que soit votre décision, vous serez toujours ce que vous êtes déjà pour moi un ami. C’est ainsi que le 1er mai 1902. Louis Labat ayant réfléchi, devenait le secrétaire officiel d’Edmond Rostand. » | |
Ce petit homme, mince et fluet, d'une prodigieuse activité, a été durant toutes ces années d'une parfaite honnêteté. En dépouillant pendant seize ans le courrier du poète, en le classant, en le clarifiant, en répondant à la plupart des lettres, il l'a soulagé d'un immense travail, il lui a permis de tenir tête à sa popularité, sans froisser trop de gens par un silence qui eût été sans lui presque obligatoire. Dans le Comoedia, du 23 juillet 1908, le journal souligne l’importance du travail du secrétaire d’homme de lettres : « Il faut, pour réussir dans cette fonction délicate, du doigté, de l'intelligence, le goût des lettres et quelquefois même du talent. (…) Celui de M. Edmond Rostand est M. Louis Labat, excellent journaliste et grand amateur de photographie. M. Labat, qui habite Bayonne, vient tous les jours à Cambo se mettre à la disposition de l'illustre poète qui l'emploie. » Après sa fonction de secrétaire, Louis Labat renoue avec sa passion d’auteur : la traduction. Maîtrisant parfaitement l’anglais, il s’emploie à traduire les ouvrages d’écrivains outre-Manche et outre-Atlantique. Conan Doyle, … sont ainsi introduit en France et les lecteurs de l’Excelsior notamment peuvent se délecter des aventures de Sherlock Holmes. La Villa Arnaga a fait l’acquisition de plusieurs ouvrages traduits par Louis Labat. Il est possible de consulter en ligne l’un d’eux : La Brèche au Monstre de Conan Doyle. |
Paul Faure
le biographe
Paul Faure est un écrivain, né le 12 janvier 1876. Il est issu d’une famille bourgeoise du monde vinicole. Vivant à Bordeaux, la famille se rend en villégiature tous les étés à Saint-Jean de Luz. Après des études chez les Jésuites à Bordeaux puis auprès des Oratoriens en Seine-et-Marne, Paul Faure voyage beaucoup. Il l’écrit lui-même : « 18 ans, de l’argent, un pays d’un charme infiniment prenant : tout me faisait la vie belle. » | |
Paul Faure est également collaborateur occasionnel pour les plus grandes revues de l’époque, telles Les Annales ou L’Illustration. La première parution du texte Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand a lieu dans la revue Les Annales sur six numéros du 1er juillet au 1er octobre 1927. Le livre paraît un an plus tard. Parmi les curieux et les admirateurs du célèbre poète, se trouvait Paul Faure. Il devient au fil des années, un intime d’Edmond Rostand – et partant, un témoin privilégié. « Je voulus voir l’homme dont le nom sonnait à toute volée. Puisqu’un hasard me faisait son voisin, il me fallait essayer de l’apercevoir. » Il rencontre Edmond Rostand en octobre 1900 lors d’une réception chez le Docteur Grancher dans sa villa Rosaenia. |
Les amitiés et personnalités littéraires
De nombreuses rencontrent jalonnent la carrière d’Edmond Rostand desquelles naîtra des amitiés indéfectibles. A ses débuts, il fait la connaissance de Jules Renard, personnage tourmenté et envieux de son succès : « C’est le seul homme que je sois capable d’admirer en le détestant ». A Arnaga, ne viennent que des amis choisis par Rostand comme Anna de Noailles ou encore Léon Blum.
Anna Elisabeth de Brancovan, comtesse de Noailles (1876-1933) | |
« Ceux qui ne l’ont pas connu ignoreront toujours jusqu’où peut aller la force expressive du langage dans le poétique, le profond, le drôle. Et quand j’évoque le prodige de son éloquence, si l’on peut appeler ainsi la vie à l’état pur qui explosait en paroles, je songe moins à ces volontaires démonstrations où elle se divertissait. Elle appelait cela « faire feu des quatre pieds ». » Jean Rostand La comtesse Anna de Noailles fait de nombreux séjours à Arnaga. Issue d’une grande famille roumaine, elle s’est imposée parmi les figures les plus brillantes du monde littéraire du début du 20ème siècle. Dès l’enfance, elle écrit des vers et s’intéresse aux poètes décadents et au scientisme (Renan, Zola, Camille Flammarion, Sully Prudhomme).Après son mariage avec Mathieu de Noailles, est publié le Cœur Innombrable (1901) qui obtient un grand succès. « Il semblait qu’Anna redonnait le goût de la poésie à un public lassé de tous les excès comme de tous les conformismes, issus du Parnasse, du symbolisme et du naturalisme. »[1] A 25 ans, Anna devient célèbre. Par ses vers célébrant la nature et les lieux de son enfance, elle devient aux yeux du public, « la muse des jardins ». Proust en particulier lui témoigne une admiration qui ne se démentira jamais. [1]Anna de Noailles - Un mystère en pleine lumière, François Broche. | |
Engagée, elle se dit socialiste mais surtout féministe. En 1904, elle préside l’ancêtre du prix Fémina, le prix “Vie Heureuse” du nom du magazine qui l’a créé. Le comité, auquel participe Rosemonde Gérard, récompense une œuvre poétique française. Durand la Première Guerre mondiale, son époux est mobilisé et Anna part avec les Rostand à Arnaga, dans le pays Basque, puis rentre à Paris. En 1921, c’est le temps des honneurs : elle est faite chevalier de la légion d’honneur (avec Proust et Colette) et élue à l’Académie royale de Belgique. Elle reçoit également le Grand prix de littérature de l’Académie française. Elle se met à la peinture en 1926 ; expose l’année suivante en juin, c’est un succès. Certaines de ses peintures – des natures mortes aux fleurs - sont conservées à la Villa Arnaga. Son style ignore totalement la peinture moderne, ses inspirations s’arrêtent à Manet (mort en 1883). En janvier 1931, elle est la première femme commandeur de la légion d’honneur avant de s’éteindre deux ans plus tard. | |
Henriette Rosine Bernard, dite Sarah Bernhardt | |
Tragédienne exigeante et fantasque, Sarah Bernhardt est sociétaire de la Comédie –Française quelques années. Elle en démissionne avec éclat en 1880 et crée sa propre compagnie. Elle se consacre alors à une série de tournées dans le monde entier, notamment en Angleterre, aux États-Unis et jusqu’en Australie. Elle s'installe en 1893 à Paris, où, après avoir dirigé le théâtre de la Porte-Saint-Martin, elle prend la direction du théâtre de la Renaissance. Cinq ans plus tard, elle fonde le théâtre qui portera son nom et qui est devenu le Théâtre de la Ville. Elle y joue la Dame aux camélias, la Princesse lointaine, Hamlet, et monte deux pièces d'Edmond Rostand : la Samaritaine (1897), et surtout l'Aiglon (1900), qui connaît deux cent cinquante représentations consécutives. Edmond Rostand, alité, n'assiste pas au triomphe de L’Aiglon, qu’elle campe avec ferveur en mars 1900. Il livre sa frustration à Paul Faure : « C’est de mon lit, l'oreille collée au Théâtrophone, que j'écoutais ma pièce, ce soir-là et les soirs d'après. La voix des acteurs, les mouvements du public, arrivaient bien jusqu'à moi, mais affaiblis, déformés. »[1] [1] Paul Faure, Vingt ans d’intimité avec Edmond Rostand, Librairie Plon, Paris, 1928 | |
L’OBJET INEDIT EXPOSE : l’épée originale de Sarah Bernhardt dans l’Aiglon. Acquise par la Villa Arnaga en 2019 grâce à un collectionneur passionné, l’épée rejoint le stick de scène de la célèbre actrice dans le fonds de collection. La fascination d’Edmond Rostand pour cette actrice à la « voix d’or » (V.Hugo) prend la forme d’un sonnet lors d’une fête grandiose qui lui est consacrée en 1896 : la journée Sarah Bernhardt. "En ce temps sans beauté, seule encore tu nous restes Sachant descendre, pâle, un grand escalier clair, Ceindre un bandeau, porter un lys, brandir un fer, Reine de l'attitude et Princesse des gestes. En ce temps sans folie, ardente, tu protestes! Tu dis des vers. Tu meurs d'amour. Ton vol se perd. Tu tends des bras de rêves, et puis des bras de chair. Et, quand Phèdre paraît, nous sommes tous incestes. Avide de souffrir, tu t'ajoutas des cœurs; Nous avons vu couler - car ils coulent tes pleurs! - Toutes les larmes de nos âmes sur tes joues. Mais aussi tu sais bien, Sarah, que quelquefois Tu sens furtivement se poser, quand tu joues, Les lèvres de Shakespeare aux bagues de tes doigts." | |
Jules Renard | |
Ami cher d'Edmond Rostand, Renard en est le contraire stylistique, dévoué à une prose pierreuse comme l'auteur de Cyrano l'était à une poésie luxuriante. En 1895, Renard se lie d'amitié avec Edmond Rostand ; amitié difficile mêlée d'envie qui, si elle ne gêne pas son admiration pour Cyrano, se dévoile peu à peu dans le ton un peu aigre de ses lettres. Dans un passage de son Journal, il raconte la première de la pièce ; il y détecte immédiatement un chef d'œuvre. Mais à son enthousiasme se mêle aussitôt une tristesse littéraire : celle de n'avoir pas réussi à faire aussi bien que Rostand. Renard ne connaîtra le succès qu'avec Le Plaisir de rompre puis Le Pain de ménage. Rostand n'assistera jamais à l'une de ces représentations, malgré l'insistance de l'auteur. Il semblerait que Jules Renard admirait Mme Rostand comme, dans la pièce, Pierre admire Marthe... Dans une lettre du 28 décembre 1897 adressée à Rosemonde Gérard, il loue la pièce Cyrano de Bergerac avec sa célèbre phrase « Ainsi, il y a un chef-d’œuvre de plus au monde » et termine son courrier par ces phrases : « Je vous jure en toute humilité (oh ! elle m’est rare,) que je me sais bien inférieur à ce beau génie lucide qu’est Edmond Rostand. Tenez ! J’embrasse sa femme et je m’imagine le faire par une sorte de surprise honteuse, comme un Christian qui ne serait pas beau. Mais je n’en finirais plus, et je vous embrasse tout de même, pour me taire. ». Cette lettre est exposée dans la bibliothèque d’Arnaga. | |
Pierre Loti | |
Pierre Loti rencontre Edmond Rostand à Arnaga par l’entremise de Paul Faure en 1912. « Le dîner fut très gai. Le hall, la bibliothèque, le vestibule, le salon n’étaient que fleurs et lumières. (…) Des chœurs, que Rostand avait installés sur la terrasse où donne la salle à manger, firent entendre tout à coup de vieux airs basques. Loti, qui était en train de parler de l’Inde et de son admiration pour Kipling, se tut pour écouter ces chants d’autrefois, qu’il adore. » (Paul Faure) | |
Jean Cocteau | |
Contacté par Jean Cocteau pour publier ses poèmes en 1909, Maurice se lance avec lui dans l’édition la revue Schéhérazade, qui aura six livraisons de novembre 1909 à mars 1911. A la même époque, Jean Cocteau a une intense activité littéraire, il publie des articles et des dessins dans Comoedia et son premier recueil de poèmes, La Lampe d’Aladin paraît. Durant l’été 1909, il est au Pays Basque, hébergé à l'Hôtel Colbert, réputé dans la station climatique. Chaque après-midi, Maurice, la boutonnière fleurie, la chevelure ondulée et flottant au vent, venait chercher en calèche son nouvel ami. Il l'amenait à Biarritz, le plus souvent pour y rencontrer quelques-unes de ces baronnes ou vicomtesses de lettres, collaboratrices de Schéhérazade et habituées des réunions poétiques de la Duchesse de Rohan. Fin septembre 1912, Jean Cocteau rend de nouveau visite aux Rostand à Arnaga. Cependant, les relations entre Jean Cocteau et Edmond Rostand se délitent suite à un événement gênant pour la famille. Pour sa dernière soirée passée à Cambo, Jean Cocteau organisa pour Maurice des bacchanales dans les jardins d’Arnaga. L’affaire aurait pu faire grand bruit mais Edmond Rostand parvint à l’étouffer tout en exigeant de son fils qu’il ne fréquente plus Jean Cocteau. Bien entendu, il ne fut plus question de préfacer le livre de vers du jeune auteur. La Danse de Sophocle parut sans le patronage tant espéré d'Edmond Rostand. Des visites de Cocteau à Arnaga, deux curieux dessins portent témoignages. L’un, au moins, peut être vu au Musée d'Arnaga : un croquis, par Rostand, de Cocteau, dont le visage aigu s'ornait alors d'une fine petite moustache de torero. Cocteau a publié dans ses Portraits-Souvenir un dessin d’Edmond Rostand, épanoui à la façon d’un chrysanthème. Dans ses Portraits-Souvenir, « souvenirs en surface » de la Belle Époque, Cocteau plonge dans le monde de son enfance et de ses premières expériences dans le milieu littéraire et artistique d’avant 1914. |
Les personnalités politiques
Jacques-Joseph Grancher (1843-1907) | |
Médecin des hôpitaux et professeur agrégé à la Faculté de médecine en 1875, chef de service à l’hôpital Tenon en 1879 puis à l’hôpital Necker en 1881, Grancher consacra de nombreuses publications à la pathologie pulmonaire, décrivant la splénopneumonie, connue depuis sous le nom de « maladie de Grancher ». En 1885, collaborateur de Louis Pasteur, il est le médecin qui vaccine le jeune Joseph Meister contre la rage. Il vient à Cambo soigner sa pneumonie contractée en 1892. Deux ans plus tard, il s’y installe et fait construire une vaste demeure qu’il nomme Rosaenia. Inaugurée en 1898, elle devient un lieu actif de réunion. Conseiller municipal en 1896, il est élu maire de Cambo-les-Bains en 1900 puis il est réélu en 1904 jusqu’à sa démission en 1905. Il fit entreprendre d’importants travaux pour améliorer les services publics (électrification de la ville, installation du téléphone…) ce qui contribua à inciter Edmond Rostand à se faire soigner puis à s’installer à Cambo. La pneumonie qu’il combattait l’emporte le 13 juillet 1907. | |
Raymond Poincaré | |
En octobre 1913, Raymond Poincaré, récemment élu Président de la République, s'arrête en Pays Basque avant un voyage officiel en Espagne. Accompagné de sa femme, ils font escale chez les Rostand à Arnaga. Tandis que le Président passe seul les Pyrénées, Mme Poincaré reste chez le couple de poètes. On lui donne la plus belle chambre, appelée depuis "chambre du Président", bien que Monsieur Poincaré n'y ait passé qu'une seule nuit. Les enfants des écoles de Cambo vinrent offrir une gerbe de fleurs à la Première Dame et lui réciter un compliment dans le jardin empanaché de jets d'eau. Mme Poincaré revient en 1929 à Arnaga à l’époque où le domaine appartient à la famille Souza-Costa. | |
Léon Blum | |
Avant d’être un homme politique célèbre durant le Front populaire, Léon Blum est un critique de théâtre dans plusieurs revues. Considéré par l’opinion comme un critique de talent, apprécié du public et des lecteurs de périodiques, il est aussi un critique contesté en raison de ses critères de choix. Emile Faguet qui lui reconnaît de la finesse, du goût, un sens psychologique estime cependant que ses passions politiques gâtent ces qualités. En 1912, il relate à Edmond Rostand un incident qui l’opposa à l’auteur Pierre Veber qui n’est autre que le frère de Jean Veber, le peintre de la frise des contes de fées du boudoir de Rosemonde Gérard. Le 9 octobre, Léon Blum assiste à la générale d’Une loge pour Faust, de Pierre Veber. Les deux hommes se connaissent parfaitement. Ils ont tous deux collaboré, il y a quelques années, à La Revue blanche, une publication littéraire d’avant-garde. Depuis, ils se sont brouillés. Veber n’a pas goûté la critique de Blum sur l’une de ses pièces. Beau-frère de Veber et grand ami de Blum, Tristan Bernard s’est mis en tête de les réconcilier. Cet auteur de théâtre et d’esprit a donc prié son cher Blum de faire un geste en venant à la représentation de Faust. Veber, peu reconnaissant, a souffleté l’impoli. Blum, offensé, lui a envoyé ses témoins. Le 14 octobre, à 11h au vélodrome du Parc-des-Princes, un duel à l’épée oppose les deux hommes. La blessure bégnine de Pierre Veber met fin au combat. Le duel a été filmé et il est encore visible aujourd’hui en ligne. Lorsque ce duel intervient, Blum compte une vingtaine d’années de critique littéraire et dramatique derrière lui. Entre 1908 et 1911, il a livré plus de 270 chroniques de théâtre au journal Comoedia, avant de poursuivre son œuvre dans Le Matin. Sans être le nouveau Sainte-Beuve, il s’est taillé une place dans ce monde des lettres, et c’est cette vocation qui nourrit ses amitiés plus que son travail au Conseil d’État. |