En 1905, sur la recommandation de l'architecte Albert Tournaire, Edmond Rostand fait appel à Jean Veber pour créer un des grands décors d’Arnaga, la nouvelle demeure qu’il fait construire à Cambo-les-Bains. Le peintre conçoit le décor féerique du boudoir de Rosemonde.
Biographie de Jean Veber
Jean Veber, peintre et lithographe, est surtout connu pour son travail de caricaturiste en collaboration avec son frère Pierre, journaliste sous le pseudonyme collectif "Les Veber's" ou Sharp’s Brothers. Ils ont écrit dans des journaux tels que Gil Blas, le Rire, L’Illustration ou L’Assiette au Beurre. Certains de ses dessins font scandale et suscitent les foudres de la censure.
Dès 1893, il pratique la lithographie et parvient rapidement à une parfaite maitrise de cette technique. Il crée ses premières lithographies pour illustrer la partition de Thaïs de Massenet à la demande de l’éditeur Heugel.
Il accède à la célébrité grâce à ses lithographies en feuille dans lesquelles apparaissent ses thèmes personnels. Sa série sur les culs-de-jatte (1896) connait un grand succès et montre son goût pour la représentation de personnages estropiés figurés de manière burlesque, sous l’influence des Caprices de Goya.
Il crée également des scènes inspirées de contes : Les maisons sont des visages (1899), Les sorcières (1900), Le diable dans la marmite (1894), le Géant (1905), le Monstre (1907), La Danse devant les nains (1910).
Avant-guerre, il s’illustre dans des scènes de genre, le plus souvent traitées de manière satirique, qui reprennent parfois des peintures, comme L'Arracheuse de dents (1904) Le Philosophe (vers 1907), La correction conjugale (1908). Plusieurs de ces planches ont été éditées par Edmond Sagot. Il aborde des thèmes politiques, notamment à partir de 1904, époque à laquelle il s’équipe d’une presse lithographique. Le Hochet de la République (1904) est la première de ses planches pamphlétaires. Il y dénonce la séparation de l’Église et de l’État figuré sous les traits d’une matrone coiffée du bonnet phrygien serrant dans ses mains un crucifix. Suivront deux lithographies figurant Jaurès. En 1909, paraissent deux représentations célèbres de Clemenceau : dans la première intitulée Le Dompteur, l’homme d’État, le fouet à la main, domine une bête énorme formée par la masse des députés. Dans la 2ème, Le Dompteur a été mangé, l’animal dévore Clemenceau.
Jean Veber se révèle comme un grand dessinateur dramatique, concentrant chaque récit en quelques scènes. Il s’engage à cinquante ans et part pour la Lorraine : son expérience inspire plusieurs planches relatant des scènes de combat. Il y fait également l’épreuve tragique des gaz qu’il relate dans l’une de ses planches (Les Gaz, 1918). Intoxiqué, il est démobilisé dans le courant de 1918.
Il décède 10 ans plus tard des suites de son intoxication laissant un œuvre peint et lithographié extrêmement personnel et d'une rare intelligence.
Le peintre des fées
Nous sommes en 1905, Edmond Rostand, jeune Académicien bâtit à Cambo sa villa Arnaga. Après le célèbre architecte Albert Tournaire, il fait appel à de prestigieux artistes pour décorer sa demeure : Clémentine-Hélène Dufau, M.Caro-Delvaille, Gaston Latouche, Henri Martin et Jean Veber. C’est à ce dernier qu’il demande une œuvre audacieuse et imposante puisque l’ensemble des toiles ne mesurera pas moins de 20 mètres.
Cette composition ininterrompue court sur les quatre murs du boudoir, insérée dans un décor totalement féérique. Elle prend place au dessus d’un revêtement mural en carreaux de grès flammés. Réalisés par Alexandre Bigot, ces pavés de terre cuite ont une tonalité tilleul rosé, légèrement semée d’éclats de couleur turquoise.
Cet ensemble est probablement le plus riche de la villa iconographiquement ; il fourmille de détails que l’artiste a « imaginés, composés, ordonnés, exécutés avec la même minutie, avec la même recherche, avec le même soin. » [Article de Gabriel Mourey, « Le boudoir de Mme Ed. Rostand à Cambo » in Les Arts, mars 1910, p.19 et 21.]
Le thème du monde fantastique des contes avait déjà été traité par Jean Veber à plusieurs reprises, dans des dessins d’illustration, dans des tableaux de chevalet puis à la Villa Arnaga. Certains critiques le surnommèrent même « le peintre des contes de fées ». Pour la tapisserie Cendrillon (…), on trouve une même « enfantine naïveté », expression de l’imagination débordante de l’artiste. La touche y est libre et les coloris vifs et contrastés. Les talents d’illustrateur de l’artiste se révèle dans ces œuvres. Pour le Petit Poucet, l’artiste nous invite à accompagner dans leurs malheurs Poucet et ses frères qui, après avoir été abandonnés, surent se jouer de cet ogre terrible qui surgit au centre de la composition comme s’il allait sortir de l’œuvre pour nous dévorer. (…) Le visage de l’ogre est révélateur du talent renommé de caricaturiste de l’artiste. Quant à la citrouille-carrosse de Cendrillon, elle nous transporte dans un monde féérique avec son orange vif qui se détache du fond bleu nuit du ciel. Prête à s’envoler au galop, elle invite le spectateur à imaginer la suite de cette histoire connue de tous.
Jean Veber aborde le répertoire des contes en 1893 pour le Cercle Volney avec sa peinture «La petite princesse» qui lui permet d’obtenir un vif succès et sera la première d’une nombreuse série de peintures féériques.
Edmond Rostand découvre le travail de Jean Veber et fait appel à lui pour décorer le boudoir de Rosemonde. Le couple demande à l’artiste de décorer l’ensemble de la pièce sur le thème des fées. « Mes panneaux représentent les plus populaires des Contes de Perrault : Barbe bleue, Riquet à la houppe, la Belle au bois dormant, Cendrillon, le Chat Botté sans parler du mariage du Chat Botté avec la Chatte Blanche et d’une fiction destinée à compléter la série : une princesse captive dans une cage en fils d’or. Je vous assure que j’ai passé des moments exquis à Cambo, à peindre ces toiles dans cette maison si accueillante, où tout respire la haute intelligence et les nobles préoccupations de ses maîtres » (Jean Veber dans un entretien accordé au Gaulois du Dimanche en 1910).
La réussite de Veber est confirmée par la commande que lui adresse la manufacture de Beauvais en juillet 1914 pour un canapé et deux fauteuils sur les thème des Contes de fées. Ces sièges viennent en complément de trois tapisseries (La Belle au bois dormant, Le Petit Poucet, Cendrillon) exécutées aux Gobelins à la demande de son directeur Gustave Geoffroy. Interrompue par la guerre, l’exécution reprend en 1917.
Le Salon des Contes de fées sera dessiné entre juillet 1919 et 1926 : un canapé (Barbe-Bleue), quatre fauteuils, quatre chaises, un écran (L’oiseau bleu, 1912). L’envers des fauteuils et des chaises est fait de tapisserie (bois de Paul Follot). L’ensemble fut présenté en 1925 à l’Exposition internationale des arts décoratifs de Paris, où les Manufactures des Gobelins et de Beauvais exposaient leurs productions les plus récentes. Certains critiques reconnurent alors dans ce salon étonnant « l’esprit pittoresque et joyeux de l’artiste […], sa haute et pure fantaisie, son prodigieux talent de coloriste ».
L'aventure du retour du Grand Décor
Ce grand décor des Contes de fées est entouré d'un grand mystère digne des récits fabuleux.
Lors des changements de propriétaires successifs, les toiles sont littéralement arrachées des murs du boudoir de Rosemonde et vendues, probablement, dans les années 1930.
Entre 1983 et 1993, les toiles sont proposées plusieurs fois dans des ventes aux enchères. Leur prix ne permet pas à la commune de Cambo-les-Bains d'en faire l'acquisition.
C'est à cette époque que les toiles, dit-on, partent aux États-Unis... où elles ne sont jamais arrivées. Elles sont, en effet, restées en France.
En 2008, la commune fait reproduire les toiles grâce à la technique de la Digigraphie®à partir de clichés pris lors de la vente de 1983. Ce sont ces copies, peu fidèles du travail de Jean Veber, qui avaient été présentées aux visiteurs d'Arnaga. Peu fidèles, car dans les années 1960, de grossières "restaurations" étaient venues cacher le travail raffiné de Jean Veber.
En 2012, la commune de Cambo-les-Bains acquièrent ces toiles pour un coût de plus de 80 000 €. Cette acquisition majeure n'aurait pu voir le jour sans les importantes subventions accordées par le Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) et par le Conseil Régional d'Aquitaine.
Endommagées, elles nécessitent des restaurations poussées auprès de Centre de Restauration et de Recherche des Musées de France. Là, les toiles sont analysées et devraient retrouver leur éclat des années 1905-1906.
Le coût de ses restaurations s'élève à 156 000 € TTC. La commune de Cambo-les-Bains est accompagnée par la Fondation du patrimoine pour achever ces restaurations. Il est possible de faire un don via la plateforme en ligne ou en complétant un formulaire papier. |